Témoignage

Publié le 1 mars 2021 à 16:06

Frédéric (prénom d’emprunt) est gardien dans l’aile D de la prison de Namur. C’est là que se juxtaposent les cellules des 38 détenus qui œuvrent aux cuisines, aux vestiaires et au nettoyage, tâches profitables à l’ensemble de la population carcérale. Ces lieux de travail sont situés dans la même aile.

Il y a deux semaines, Frédéric capte qu’un détenu n’a pas l’air en forme. "Je n’ai plus de forces, j’ai de la fièvre, mal à la tête. Mais ce n’est pas le Covid, hein !", lui répond l’affaibli.

On est dimanche après-midi et nul médecin ne gravite dans les parages. "Ça sentait le Covid. J’ai demandé à mes supérieurs pour le maintenir en cellule et je l’ai inscrit sur la liste des rendez-vous chez le médecin pour le lundi", explique Frédéric.

Mercredi, le gardien reprend le boulot et passe par l’infirmerie s’enquérir de l’objet de sa préoccupation : "Il n’avait même pas été testé. En fait, le détenu a menti sur ses symptômes. Il a juste dit qu’il avait mal au dos."

Le même jour, des collègues lui indiquent que d’autres détenus de l’aile semblent peu à leur affaire. L’alerte est donnée, un médecin fait trois tests salivaires aléatoires. Deux sur trois, dont le premier cas signalé, sont positifs. Durant 24 heures, tous les détenus sont confinés et toute l’aile D passe les tests PCR. Les résultats tombent jeudi, ils sont alarmistes : 36 détenus sur 38 sont positifs. Depuis, les visites physiques sont interdites.

À ce stade, la demi-mesure ne tient plus la route. Tous les détenus et membres du personnel de l’établissement doivent être testés.

Le 19 février, les premiers résultats tombent : 46 personnes positives au sein des détenus et du personnel sur les 117 tests qui ont déjà pu être effectués. Dans la foulée, les douches et le préau sont à nouveau suspendus durant un bon jour. "Ensuite, pour les douches et les préaux, nous nous sommes organisés avec les moyens du bord à la demande de l’administration, en séparant les positifs des négatifs et en désinfectant à outrance. Mais ce n’était pas possible, le virus continuait à se propager ", détaille notre gardien.

Frédéric fait partie des touchés : " Mon premier test était négatif. Le deuxième, passé après 7 jours, était cette fois positif. Heureusement, sous avis médical, je me suis mis en quarantaine dès le premier test parce qu’à la base, j’avais un rhume et je me sentais fatigué. Aujourd’hui, je ressens plus encore les symptômes. "

Vendredi dernier, nouveau coup de massue suite à la tombée des résultats globaux. Près de la moitié des détenus ont été testés positifs, soit 61 sur les 132. Et environ la moitié du personnel est aussi contaminée, soit 57 personnes. Le lockdown est proclamé. Les détenus sont confinés dans leur cellule.

Un second test doit encore être effectué. "Les chiffres vont gonfler, ça continue à se répandre", pronostique Frédéric. " À cause de l’étalement des tests et du délai pour l’arrivée des résultats, on a perdu au moins 5-6 jours. Le confinement aurait dû être décidé ou prolongé bien plus tôt. Aujourd’hui, les choses risquent de dégénérer. "

En fait, ce n’est même pas un risque, c’est déjà chose acquise. Samedi, en fin de journée, des familles de détenus ont manifesté devant la prison. "Les détenus ont embrayé en exprimant leur courroux. Ils ont jeté des draps en feu, des papiers et des poubelles par la fenêtre de leur cellule", témoigne Nicolas Legros, délégué SLFP. "La police a dû intervenir."

La suite ? Un autre agent nous indique que, ce dimanche, la direction de la prison a annoncé une réouverture, dès ce lundi, des douches et des préaux. Une décision qui viendrait de l’administration pénitentiaire : "Ce serait pure folie, c’est trop tôt. Des personnes ont encore été contaminées jeudi dernier. Il faut au moins prendre le temps de tout désinfecter en profondeur", réagit Nicolas Legros de qui nous apprenons cette indication. De son côté, l’administration ne confirme pas : "Il y aura une réunion ce lundi pour analyser la situation", nous indique la porte-parole Kathleen Van de Vijver.

Aujourd’hui, les gardiens réclament à grands cris des renforts. "La police sera présente ce lundi mais uniquement pour la sécurisation, pas pour nous assister dans nos tâches", déplore Nicolas Legros.

Mardi, le gouverneur Denis Mathen rencontrera tous les acteurs dans ce dossier afin d’évaluer si la protection civile doit intervenir en soutien…

"Aucun gardien ni détenu vacciné, c’est un scandale"
"Nous devrions être traités comme les maisons de repos", s’offusque un syndicaliste.

Ce n’est pas la première fois qu’une prison est touchée par le Covid. Andenne, en septembre 2020, et aujourd’hui Leuze-en-Hainaut, en ont déjà fait les frais.

"Le véritable scandale, c’est qu’à ce jour, aucun gardien ni détenu n’a eu accès à la vaccination alors que d’après Sciensano, les prisons sont cataloguées, au niveau risque, au même titre que les maisons de repos qui, elles, peuvent en bénéficier", s’offusque Grégory Wallez, secrétaire général de la CGSP Prison. "Une fois de plus, les prisons sont abandonnées parce qu’elles sont moins ‘paillettes’. Cet accès doit être décidé dans l’urgence. D’abord sur base volontaire, on verra alors ce que ça donne. Peut-être ensuite, si ça ne mord pas, de façon obligatoire. Maintenant, on sait que si cet accès au vaccin est autorisé, toutes les prisons ne seront pas sur pied d’égalité. On privilégiera d’abord des prisons comme Saint-Gilles, qui a un centre médical, ou Lantin et Bruges qui ont une aile Covid."